En Russie, la mise au pas des médias se poursuit sous Vladimir Poutine
e n'est pas une bonne période pour les partisans de la liberté d'informer, mais j'ai l'espoir que les choses changeront un jour. Je veux rester un professionnel. C'est pourquoi, en dépit de tout, je continue de travailler ", commente un journaliste russe de la chaîne de télévision TV6, deux années après l'élection de Vladimir Poutine. Eliminée des écrans par le pouvoir fin janvier pour ses liens avec un opposant en vue, TV6 a été rétablie dans ses droits de transmission le 27 mars, à condition d'accepter une tutelle du Kremlin.
Plusieurs informations ont encore alourdi l'atmosphère. Le corps sans vie, battu et étranglé d'un journaliste de la publication Moskovskie Novosti, Valeri Batouev, trente- trois ans, qui avait effectué plusieurs reportages en Tchétchénie, a été retrouvé dimanche 31 mars dans un appartement à Moscou. Le 11 mars, une journaliste de Rostov-sur-le- Don, Natalia Skryl, était retrouvée morte après avoir enquêté sur des grandes entreprises de la région. On a appris par ailleurs que le rédacteur en chef d'un quotidien critique à l'égard du pouvoir, Nezavissimaïa Gazeta, contrôlé par le financier exilé Boris Berezovski, était convoqué lundi 1er avril par le parquet de Moscou pour " interrogatoire ", sans autre précision.
Selon Alexei Simonov, le directeur de l'organisation non gouvernementale (ONG) Fonds pour la défense de la glasnost (terme faisant référence à la relative libéralisation de l'information en URSS à l'époque Gorbatchev), " les autorités continuent à purger le secteur de l'information de tout ce qu'elles considèrent comme représentant une opposition ". Les récents incidents ont pour effet, dit-il, " de rappeler à tous qu'il s'agit de réfléchir très soigneusement avant de dire ou d'écrire quelque chose ".
Fin février, l'hebdomadaire Novaïa Gazeta, qui se distingue à la fois par la faiblesse de son tirage et la virulence de ses critiques contre la corruption officielle et la guerre en Tchétchénie, a été frappé d'amendes sans précédent, d'un montant total de 1,5 million de dollars. Le journal a été condamné à Moscou pour diffamation, après la publication d'un article exposant les revenus illicites d'un juge de la région de Krasnodar, et pour avoir mentionné la banque Mezhprombank, liée à un homme d'affaires proche de M. Poutine, dans un scandale de blanchiment d'argent. " Il est devenu évident que les tribunaux mettent à exécution des ordres officiels pour éliminer la presse indépendante ", estime-t- on au Fonds pour la défense de la glasnost.
Anna Politkovskaïa, journaliste primée en France en 2000 pour un livre sur le conflit en Tchétchénie ( Voyage en Enfer, Laffont, 216 p.) raconte qu'elle a subi des intimidations de la part de responsables militaires russes. Au point d'avoir fait le choix de quitter la Russie, à l'automne 2001, pour se réfugier en Autriche, où un institut lui offrait une bourse d'étude. A l'occasion de son retour à Moscou pour les fêtes du Nouvel An, son passeport a été saisi par la police et le ministère russe de l'intérieur lui a affecté une garde rapprochée. " Cela revient à me surveiller en permanence, a-t-elle raconté au Monde. Je ne peux plus avoir de discussion avec une source sans qu'ils [les services russes] en soient informés. Je ne peux sortir de chez moi sans être suivie. "
Selon le commentateur russe Pavel Felgenhauer, M. Poutine a mis en place dans le pays une " machine de propagande ". Elle vise, selon lui, à masquer les difficultés en Tchétchénie, mais aussi à attiser régulièrement dans l'opinion des bouffées de nationalisme permettant au président russe de se présenter, au yeux de l'Occident, comme un élément modérateur.
La mise sous tutelle des chaînes de télévision nationales a été achevée par le transfert de TV6 à un groupe d'une douzaine d'" oligarques " (patrons de groupes industriels et énergétiques russes), coiffés par l'ancien premier ministre Evguéni Primakov. TV6, comme de nombreux médias subissant les pressions du pouvoir, était la propriété du financier Boris Berezovski, qui a dénoncé une dérive " totalitaire " en Russie. En 2001, Vladimir Goussinski, rangé dans l'opposition au Kremlin, avait passé trois jours en prison avant d'être dépossédé de sa chaîne de télévision, NTV, fragilisée par ses emprunts à des structures étatiques.
La faiblesse des médias face au pouvoir, depuis dix ans, est liée aux insuffisances du marché publicitaire en Russie. Incapables d'autofinancement, journaux et télévisions sont tombés dans l'escarcelle d' " oligarques ", qui ont été contraints soit à la fidélité politique à M. Poutine, soit à l'exil. La population russe, à en croire les sondages, ne considère pas la liberté d'expression comme le principal acquis depuis la chute de l'URSS, mettant plutôt l'accent sur l'accès aux biens de consommation. Les journalistes en Russie sont souvent critiqués pour leur corruption. " Lorsque je lance une campagne publicitaire, je prends mon carnet d'adresses : je sais combien coûte tel journaliste, combien coûte tel article ", raconte une responsable de société de communication.
" La liberté d'expression, au sens politique, n'existe plus " en Russie, dénonce le chef d'un petit parti démocrate, Grigori Iavlinski. Quant à Boris Nemtsov, considéré comme " libéral " défenseur des libertés publiques, il parle de " purge " dans le milieu de la télévision.
Source : LE MONDE | 12.01.07 | 16h38
lundi 28 mai 2007
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