samedi 5 mai 2007
Music...8
Les mots qui fâchent
Russell Simmons, l'une des figures du milieu hip-hop, s'insurge contre le racisme et la misogynie des paroles de certains rappeurs. Son appel à l'autocensure soulève la polémique outre-Atlantique, rapporte le quotidien britannique The Independent.
Pour le parrain du hip-hop moderne, trop, c'est trop. Russell Simmons, cofondateur du label de musique hip-hop Def Jam Records et inspirateur de groupes aussi différents que Run-DMC, les Beastie Boys et LL Cool J, est aussi excédé que nous par la vulgarité bas de gamme qui sévit dans le rap. Il a appelé à une censure volontaire des trois mots qu'il estime être à la fois les plus inacceptables et parmi les plus couramment utilisés, qualifiant les termes de "bitch" (salope), "nigger" (nègre) et "ho" (pute) d'"injures extrêmes" qui ne correspondent absolument pas à l'esprit de responsabilité sociale des artistes de rap ou de leurs maisons de disques.
"Les mots bitchet ho sont extrêmement péjoratifs. Ils manquent du plus élémentaire respect vis-à-vis de la misogynie douloureusement vécue par les femmes afro-américaines aux Etats-Unis", déclarait dans un communiqué le Réseau d'action hip-hop, association civique présidée par Simmons.
"L'épithète nigger est, quant à elle, un terme racialement péjoratif qui témoigne d'un manque de respect envers la douleur, les souffrances et l'histoire d'oppression raciale et des multiples formes de racisme dont ont été victimes les Afro-Américains et autres gens de couleur", ajoutait-il.
La déclaration de Simmons a aussitôt relancé le débat sur la question du "politiquement correct". Si sa proposition a été accueillie favorablement dans de nombreux milieux, d'autres l'ont en revanche dénoncée, n'y voyant qu'un geste symbolique qui ne suffirait en aucun cas à mettre fin à la misogynie ou au racisme, et ne ferait que modifier le vocabulaire exprimant ces excès.
"Ça ressemble un peu à une éducation sexuelle prônant exclusivement l'abstinence", écrivait un lecteur au Detroit Free Press sur un forum en ligne. Dans une interview accordée à l'agence Associated Press, Simmons ripostait : "C'est un premier pas. C'est un message clair et une norme que nous voudrions voir adoptée par l'ensemble du secteur, afin que les maisons de disques en arrivent à endosser davantage de responsabilité sociale."
Sa déclaration résume très largement les frustrations qu'il éprouve avec d'autres sur l'orientation prise par le rap. Quant ce genre a débarqué sur la scène musicale, dans les années 1980, c'était un nouveau mode d'expression puissant, voire révolutionnaire, issu des frustrations et des privations que connaissaient les citadins noirs. Simmons a systématiquement encouragé cette idée, organisant des séances de Def Poetry [programme télévisé de la chaîne câblée HBO au cours duquel poètes, musiciens ou encore acteurs participent à un tournoi de slam, c'est-à-dire de déclamations poétiques improvisées] et en associant à sa carrière de producteur musical une action de défense des droits civiques – à travers, notamment, son initiative engageant la communauté noire américaine à participer au scrutin présidentiel de 2004.
Or, dopé par son succès commercial, une grande partie du rap a évolué dans une direction radicalement différente, fétichisant la culture noire des prisons et un langage de violence et de haine. Le mouvement gangsta rap, apparu au début des années 1990, a été le premier à mettre en avant les références négatives aux "niggers" et "hos", et la tendance n'a depuis lors jamais faibli.
A la mi-avril, le sulfureux animateur radio Don Imus, réputé pour son goût de la provocation, a été limogé de la station CBS pour avoir traité l'équipe féminine de baseball de l'université Rutgers de "putes aux cheveux crépus" – épisode qui, une fois de plus, a réveillé le spectre du langage blessant.
Dans la plupart des maisons de disques, la pratique courante consiste à produire deux versions des chansons de rap – une version non expurgée pour la sortie en album, souvent accompagnée d'un avertissement, et une version "propre" destinée à la diffusion radio, dans laquelle les paroles ont été modifiées, supprimées ou couvertes par un top sonore. La proposition de Simmons vise à bannir définitivement du langage rap les trois mots honnis.
Avec le Réseau d'action hip-hop, il a également recommandé de créer une association sur les normes de diffusion, au sein de laquelle les patrons des entreprises de divertissement édicteraient des directives pour les paroles et l'imagerie vidéo. "Nous souhaitons par ailleurs que l'industrie du disque mette en place des programmes et des forums de sensibilisation des artistes pour stimuler un dialogue efficace, afin de promouvoir une meilleure compréhension et un changement positif", précisait le communiqué.
Repères
En dépit de la liberté d'expression, les paroles et gestes des rappeurs soulèvent régulièrement l'indignation de l'opinion et des médias américains. Au palmarès des provocations misogynes des rappeurs, on peut noter :
– En 2002, Pepsi avait choisi pour représenter sa marque le rappeur d'Atlanta Ludacris, qui se targuait dans son titre Area Codes d'avoir "des putes dans chaque zone". Confronté à une menace de boycott lancée par la chaîne conservatrice Fox, Pepsi préféra rompre le contrat.
– En août 2003, Snoop Dogg, spécialiste de la provoc, débarquait sur le plateau des MTV Video Music Awards tenant en laisse deux femmes dans le plus simple appareil. La chaîne de télévision MTV, qui met régulièrement le rappeur à l'honneur, s'est ensuite trouvée plus d'une fois épinglée par la presse et les associations de défense des droits de l'homme.
– En 2004, certaines représentations du chanteur Nelly ont été annulées en raison du clip de son single Tip Drill dans lequel, entre autres postures inconvenantes, le postérieur d'une jeune femme noire était utilisé comme lecteur de cartes de crédit.
Andrew Gumbel - The Independent
Source: courrierinternational.com, le 2 Mai 2007
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