mercredi 9 mai 2007

Europe...2

Lech Kaczynski : "Si la loi de lustration est annulée, il faut ouvrir les archives communistes"


. Sarkozy voudrait limiter le recours à l'unanimité dans le processus de prise de décision au sein de l'Union. Adhérez-vous à cette proposition?

Dans une certaine mesure, oui. Mais pas tel que le propose l'actuel projet constitutionnel.

Vous rejetez le système de vote à double majorité prévu par le traité constitutionnel pour les décisions communautaires. En ferez-vous une condition de la relance européenne?


La construction de l'acte fondamental est un processus dynamique. Aussi, je ne veux pas dire aujourd'hui à quel moment la Pologne pourrait poser son veto. Mais je sais une chose : entre le système de vote mis en place par le traité de Nice et celui proposé par le projet constitutionnel actuel, il y a une grande différence pour la Pologne. Le plus grand bénéficiaire du système inscrit dans le projet actuel de constitution serait l'Allemagne. Celui qui y perdrait le plus serait la Pologne. Aucun pays ne saurait l'approuver.

Il est vrai que nous avons aujourd'hui un système de vote très avantageux pour la Pologne. Nous pouvons être d'accord pour certains changements. Mais nous n'accepterons pas le système de vote proposé dans le projet actuel. Pour la Pologne, cette question est cruciale.

Qu'en est-il de la proposition de créer un poste de ministre des affaires étrangères de l'Union ?

Le projet constitutionnel va beaucoup trop loin. La politique étrangère de l'Union est déjà une réalité. Une réalité qui soulève plusieurs questions : quels Etats influent cette politique communautaire ? N'est-ce pas une sphère où agissent seulement les deux ou trois Etats les plus forts de l'Union ? La Pologne suit très attentivement ce que fait l'Union dans ce domaine, notamment sa politique orientale. Lors du dernier sommet, je me suis prononcé très clairement à ce sujet, quitte à me mettre en minorité. Si le poste de ministre des affaires étrangères devait être créé, les Etats les plus puissants de l'Union continueraient à mener une politique étrangère indépendante, alors que les Etats plus faibles verraient leur liberté d'action tomber à zéro.

Lors de la récente visite en Pologne de la chancelière allemande Angela Merkel, les commentateurs polonais ont unanimement annoncé un réchauffement des relations Varsovie-Berlin. Ce "redoux" s'inscrira-t-il dans la durée?

Je l'espère. Mais il existe une certaine contradiction. Mes relations avec le président Horst Köhler, avec la chancelière Angela Merkel, sont des plus sympathiques, très directes. En revanche, certains problèmes persistent. La Pologne a accepté certaines concessions. Nous avons notamment reconnu que le traité constitutionnel actuel servirait de base aux négociations, bien que nous eussions préféré une autre solution, celle d'une réécriture totale du projet.

Mais nos relations continuent à buter sur deux dossiers sensibles : le gazoduc nord-européen sous la Baltique, et les démarches de citoyens allemands, pas du gouvernement, qui remettent en question la propriété sur un tiers du territoire de la Pologne. Rien qu'aujourd'hui, sur l'ancien territoire de la Prusse orientale, il y a déjà 200 procès en cours pour la restitution des biens \[demandes de réparations financières déposées par l'association des expulsés allemands, chassés des anciens territoires attribués à la Pologne après 1945\]. C'est un problème fatal, psychologique et économique.

Pourtant, à la mi-mars, Mme Merkel a pris une position très claire sur ce dossier, en affirmant qu'elle ne soutenait pas ces revendications.


Oui, mais nous avons essuyé un refus quand nous avons demandé au gouvernement de Mme Merkel de signer une déclaration commune sur le non-fondé de ces revendications.

Une nouvelle loi controversée de lustration impose à l'élite polonaise de déclarer avoir ou non collaboré avec la police politique communiste, sous peine de licenciement. Le 25 mars, elle a déclenché un tollé au Parlement européen après que l'eurodéputé Bronislaw Geremek eut annoncé qu'il pourrait perdre son mandat pour avoir refusé de déposer sa déclaration. Comprenez-vous son geste ?

Je l'ai compris, mais je le juge d'une façon critique. Je reconnais les mérites de M. Geremek. Mais je ne peux pas approuver son geste qui nuit à la Pologne. La manifestation de M. Geremek a créé une impression absurde qu'en Pologne la démocratie est menacée.

Notre pays doit résoudre les problèmes que d'autres Etats post-communistes ont résolus il y a plus de quinze ans. Je ne vois aucune atteinte à la dignité de qui que ce soit. Notre loi est plus douce que celle qui fut à l'œuvre en Allemagne, par exemple.

Si le tribunal constitutionnel, qui se réunit du 9 au 11 mai, reconnaissait la loi comme anticonstitutionnelle, renonceriez-vous à la lustration ?

J'en serais profondément attristé. Cela signifierait que les citoyens n'ont pas le droit de connaître ce passé totalitaire, ce régime qui était dépendant de l'impérialisme soviétique.

Si le tribunal, sous l'influence de divers intérêts et de diverses modes, en venait à déclarer cette loi illégale, ce serait regrettable, mais nous devrions nous y plier. Il faudrait alors que j'accepte ce que j'ai refusé jusqu'à présent : soutenir une nouvelle loi qui proposerait l'ouverture totale des archives de la sécurité communiste. Ces dossiers, ces informations sensibles, deviendraient alors propriété publique.

Propos recueillis par Celia Chauffour
Source: le Monde, le 9 Mai 2007

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