jeudi 10 mai 2007

Geopolitique...13

Regain de tension entre la Russie et l'Europe

près les questions énergétiques, les importations de viande polonaise et le bouclier antimissile américain, c'est un autre thème, celui de la mémoire et de l'interprétation donnée à l'entrée de l'Armée rouge dans les Etats baltes, pendant la seconde guerre mondiale, qui est venue encore compliquer la donne entre Moscou et les Européens, à l'approche du sommet Russie-Union européenne qui doit se tenir à Samara, sur la Volga, les 17 et 18 mai.

Plusieurs sujets de contentieux, dont le statut du Kosovo, l'entrée de la Russie dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), ou le règlement des "conflits gelés" aux marges de l'Europe, comme la Transnistrie, devraient y être évoqués.

Le dernier litige apparu est centré sur le déplacement à Tallinn, capitale de l'Estonie, d'un monument honorant les soldats soviétiques. Le transfert de ce "Cavalier de bronze" du centre-ville vers un cimetière militaire a donné lieu à des émeutes menées par des groupes issus de la minorité russophone, certains brandissant des slogans comme "A bas l'Estonie", ou "l'URSS pour toujours". Il y eut un mort, un jeune russophone - poignardé lors d'une rixe entre pilleurs, selon les autorités estoniennes, mais que des commentateurs en Russie ont ensuite décrit comme un martyre.

A Moscou, de jeunes activistes de l'organisation pro-Poutine "Nachi" s'en sont pris pendant près d'une semaine à l'ambassade d'Estonie, projetant sur la façade des pierres, des oeufs, de la peinture, et bousculant l'ambassadeur. Des médias d'Etat russes et des politiciens de la Douma, la Chambre basse du Parlement, ont qualifié les autorités estoniennes de "fascistes" et parlé de la nécessité de renverser le gouvernement à Tallinn.

Alors que les commémorations de la fin de la seconde guerre mondiale se déroulaient à Tallinn, mardi 8 mai, en l'absence d'une délégation russe - alors qu'une invitation avait été transmise - on apprenait que la compagnie des chemins de fer russe avait interrompu les liaisons entre Saint-Pétersbourg et la capitale estonienne. Des appels à un boycottage des produits estoniens ont été lancés en Russie.

Face à cette crise, la plus grave entre Moscou et un des nouveaux pays membres de l'Union européenne (UE) depuis l'élargissement de 2004, la Commission de Bruxelles a réagi en demandant à la Russie de respecter les conventions de Vienne sur la protection des bâtiments diplomatiques. L'OTAN et les Etats-Unis ont aussi protesté.

Mais une certaine gêne se fait aussi sentir, car le sentiment, côté occidental, est que l'équipe du premier ministre estonien, Andrus Ansip, a volontairement attisé une question susceptible d'enflammer les esprits à Moscou : le déplacement du monument soviétique a été un des arguments de la campagne des élections législatives en Estonie, en mars.

La diplomatie russe s'est emparée de l'affaire pour porter de nouvelles critiques contre les structures euro-atlantiques. Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a accusé, lundi, l'UE et l'OTAN de se livrer à une réécriture de l'Histoire en soutenant Tallinn. Pour les Baltes, l'arrivée des troupes soviétiques, dans la foulée du Pacte Ribbentrop-Molotov (1939), a marqué le début d'un demi-siècle d'occupation de leurs pays, avec son cortège de répressions et de déportations vers les goulags. Tandis que pour Moscou, il s'agit d'un haut fait dans la "Grande guerre patriotique". M. Lavrov a fustigé les "tentatives de blasphémer une mémoire sacrée". "Malheureusement, a-t-il ajouté, certaines organisations comme l'OTAN et l'UE soutiennent ces tentatives, qui sont devenues un élément de la politique étrangère de certains pays."

L'administration Bush a fait savoir, au coeur de la dispute, que le président estonien, Toomas Ilves, serait reçu en juin à la Maison Blanche. Le président russe, Vladimir Poutine, a accusé mercredi l'Estonie de "semer la discorde" en "profanant des monuments à la gloire des héros". Le secrétaire général du Conseil de l'Europe, Terry Davis, a appelé les deux parties à s'abstenir de nouvelles provocations.

Natalie Nougayrède
Source: lemonde.fr, le 10 Mai 2007

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