mercredi 13 juin 2007

Pologne: Calme Calme, Cool Cool, Zen Zen...

Jaroslaw Kaczynski : sur l'Europe, "la Pologne est prête au compromis"

icolas Sarkozy sera jeudi à Varsovie. En tant que premier ministre polonais, qu'attendez-vous de cette visite ?

Je me réjouis que le président français ait jugé convenable de venir aussi rapidement en Pologne, et ce malgré son agenda chargé des dernières semaines. C'est un bon signe. Celui d'une bonne reconnaissance de la situation en Europe, celui que Varsovie est une capitale qui compte.

Nul doute que M. Sarkozy vient défendre son projet de "traité simplifié" et le système de vote à double majorité inscrit dans le texte actuel de la Constitution. Vous laisserez-vous convaincre ?

Pour l'heure, je ne sais pas. J'attends avec impatience de connaître ce que M. Sarkozy a à nous présenter. J'ai tout et rien entendu à ce sujet. Mais il y a un véritable manque d'information. A dix jours du conseil, nous ne savons que peu de chose des projets des uns et des autres. Il est extrêmement difficile de s'y retrouver.

Il en va de même avec votre gouvernement. A part la fermeté de votre ton, il est difficile de cerner votre jeu...

Laissez-moi le définir autrement. Tout a commencé par la Convention européenne, qui s'est déroulée d'une façon bien spécifique, puisque tout y a été décidé par une poignée de présidents. Ensuite, la conférence intergouvernementale, malgré les annonces qui avaient été faites, s'est tenue sans la participation des futurs Etats membres. On voulait aller vite. Si bien que les principes qui étaient inscrits dans la déclaration de Laeken (décembre 2001), comme la subsidiarité, le renforcement de la position des Etats nations, la démocratie ou les référendums, ont tous disparu.

Nous craignons aujourd'hui que cela ne se répète. Tout le monde s'empresse à nouveau. En quelque sorte : "Signons vite, le champagne est déjà prêt." Il faut calmer le jeu.

Vous appelez donc à ralentir la relance institutionnelle, quand Berlin et Paris pressent le pas ?

En effet. Nous aimerions avoir plus de temps pour que la prochaine conférence intergouvernementale puisse examiner et débattre certains sujets cruciaux, comme le système de prise de décision. Et pour que nous puissions nous lever de la table des négociations avec le sentiment que l'Union a été renforcée dans le bon sens du terme. Le mécanisme de prise de décision prévu dans le traité constitutionnel, du point de vue de la Pologne - qui est la seule à avoir le courage de dire ouvertement ce qu'elle pense -, contient des risques. Abaissons ce niveau de risque et, pour cela, entamons des discussions.

Que craignez-vous exactement ?

Que certains pays, ou groupes de pays, se retrouvent dans une minorité durable, indépendamment des déclarations qu'ils feront. Ce n'est pas le seul problème. Comme la déclaration de Laeken le mentionne clairement, il faut une délimitation nette entre ce qui appartient à l'Union et ce qui appartient aux Etats-nations. Jusqu'à présent, nous n'avons rien fait en ce sens. Le principe de subsidiarité est une réalité fictive, le partage de compétences est confus. Sans oublier les nouvelles compétences de la Cour européenne, qui se prononce en général contre les prérogatives des Etats-nations.

Irez-vous défendre cette vision au Conseil européen à Bruxelles, les 21 et 22 juin ?

Si nos prochains entretiens avec M. Sarkozy, la chancelière allemande et le premier ministre espagnol se passent bien, c'est mon frère, le président, qui s'y rendra. Sinon, ce sera moi.

Car vous êtes plus ferme en négociation...

Quand la situation n'est pas bonne, il faut envoyer ceux qui ont mauvais caractère.

Jeudi, en marge du G8, M. Sarkozy a invité la Pologne à apprendre "la culture du compromis". Cet appel a-t-il été entendu ?

La Pologne est prête au compromis. Je pense notamment au système de vote : celui que nous proposons est déjà un compromis, puisqu'il est moins bon pour nous que celui qui fonctionne aujourd'hui (mis en place par le traité de Nice). Accepter le système de vote prévu par le traité constitutionnel actuel, et donc être relégué à la pire situation de toute l'Union européenne, serait une capitulation. Or une capitulation n'a jamais été un compromis.

Ce qui n'empêche que nous sommes capables de faire des compromis. L'histoire récente de la Pologne en regorge. Mais je le répète : il y a une différence entre être disposé au compromis et tout accepter. N'oubliez pas qu'en pratique, si un représentant de la France, au cours d'un débat au sein de l'Union, dit "non", la discussion est close. Le président français, avant de parler de compromis, devrait d'abord se rappeler cet état de fait. C'est ici la clé du problème : les plus grands pays font semblant que ces pratiques n'existent pas.

Les critiques de Jacques Chirac en 2003 sur la Pologne qui avait "raté une bonne occasion de se taire" en apportant son soutien à l'intervention américaine en Irak ont porté un coup dur aux relations franco-polonaises. Avez-vous tourné la page ?

Nous verrons. Ces paroles étaient affligeantes, mal formulées. Mais nous avons un nouveau président. Espérons que nous aurons aussi une nouvelle politique, en particulier à l'égard de Washington. J'espère que M. Sarkozy saura traiter avec intérêt et bienveillance les relations entre l'UE et les Etats-Unis. De bonnes relations entre Bruxelles et Washington est ce qu'on peut faire de mieux pour le monde. Si M. Sarkozy suivait une telle direction, ce serait parfait.

Partagez-vous la crainte, palpable chez certains politiques et commentateurs polonais, de voir émerger une "Europe allemande" ?

Non, je ne crains pas une Europe allemande. Je crains une Europe qui porterait en elle des conflits entre ceux qui se trouveront, sur les dossiers sérieux, en minorité et ceux qui pourront chercher, avec le temps, d'autres solutions pour eux-mêmes. C'est ce qui nous inquiète et ce que nous voudrions éviter.

Le contentieux historique qui oppose la Pologne et l'Allemagne peut-il être dépassé ?

Ce sont des relations sur lesquelles pèse toujours l'Histoire. Je ne parle pas de ressentiment, mais de questions qui restent actuelles. Berlin refuse de reconnaître que les revendications d'anciens expulsés Allemands, concernant la propriété des biens immobiliers sur plus d'un tiers de la Pologne, sont illégales. Le gouvernement allemand dit qu'il ne soutient pas ces revendications. C'est trop peu. C'est très agréable à entendre, mais ce qui nous intéresse, ce sont les faits. Que se passera-t-il avec les prochains gouvernements ? Nos deux pays doivent signer une déclaration commune.

Quel bilan économique tirez-vous de votre adhésion à l'UE ?

Excellent : nos exportations ont quasiment doublé depuis 2004, la croissance est haute (7,4 % au premier trimestre 2007). La santé sociale du pays s'est améliorée, notamment dans nos campagnes.

D'ici à 2013, la Pologne recevra 67 milliards d'euros d'aides européennes. Cette manne ne devrait-elle avoir raison de vos inquiétudes et vous inciter à baisser la garde ?

Ces aides ont justement été votées avec le système de décision du traité de Nice, qui nous donnait une influence à quasi égalité avec la France ou l'Allemagne. Le système de vote qu'on nous propose aujourd'hui réduirait considérablement nos voix. Mais je le répète : l'adhésion a l'Union est une réussite. Il suffit de regarder nos paysans : ils étaient farouchement opposés à l'Europe avant 2004, aujourd'hui c'est l'inverse.

En est-il de même pour vous... ?

J'ai toujours plaidé pour l'Europe, dès 1990. J'ai une conception toute particulière : je voudrais que l'Europe devienne une véritable superpuissance. Ce qui signifierait que, tout en laissant une plus grande liberté aux Etats sur leurs affaires intérieures, on crée une force réelle, une force armée, et une direction supranationale qui en disposerait.

L'Europe deviendrait alors un véritable partenaire pour les Etats-Unis. Je crois aussi que l'Union devrait être élargie. Regardez le développement incroyable de la Chine ! Il est la preuve que si l'Europe veut compter dans le monde, elle doit avoir au moins 600 millions d'habitants. Ce qui supposerait d'intégrer l'Ukraine, la Turquie et les Balkans.

Propos recueillis par Célia Chauffour
Source: LE MONDE | 12.06.07 | 14h55 • Mis à jour le 12.06.07 | 14h55

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