Parfum de krach à Shanghaï : les boursicoteurs prennent peur
Shanghaï (Chine), correspondant
L'écran de son ordinateur est tapissé de chiffres en vert, mais Michel Zhang voit rouge. Il a investi l'équivalent de 30000euros d'économies dans des actions à la Bourse de Shanghaï en janvier. Il y a une semaine, il avait calculé avoir réalisé un profit de 10000euros, grâce notamment à la bonne performance d'une aciérie du Shandong (Est). Mais en quelques jours, l'essentiel de ses gains est parti en fumée. Depuis son record du 29 mai, à 4 168 points, l'indice de référence de la principale place boursière chinoise a dégringolé de près de 500 points. Mardi 5 juin, la Bourse de Shanghaï a connu une nouvelle séance très heurtée, perdant jusqu'à 7 % dans la matinée avant de se reprendre in extremis (+2,63 %). La veille, elle avait plongé de 8,26 %. Comme la plupart des boursicoteurs de sa génération, le jeune shanghaïen, âgé de 33ans et cadre supérieur dans une entreprise de télécommunications, réalise toutes ses opérations en Bourse sur Internet –il laisse les salons de courtage aux désœuvrés du troisième âge ou bien aux victimes des restructurations de sociétés d'Etat, qui y passent des après-midi entières à fumer et boire du thé. Sur le logiciel que lui a fourni la société de courtage dans laquelle il a ouvert un compte, les valeurs qui apparaissent en vert sont celles qui chutent. Un slash placé à côté du titre indique qu'on ne peut plus vendre – car il n'y a plus assez d'acheteurs. Dans les foyers et les bureaux des grandes villes, l'angoisse était palpable mardi matin en Chine, même si, sur les forums Internet, circulaient aussi des propos raisonnables, destinés à prévenir la panique.
Les boursicoteurs, qui peuvent aller du cadre supérieur au gardien d'immeuble en passant par les retraités, ont continué de se précipiter pour investir leur épargne en actions chinoises –les investisseurs étrangers sont limités à un quota. Quelque 300000comptes auraient été ouverts par jour auprès des courtiers la semaine précédant le 29 mai – avec un record de 455 111 le 28 mai – et le nombre de comptes en Bourse est ainsi passé de 77 millions il y a six mois à 100 millions. Ce nombre peut être ramené à 30 millions en raison des quelque 35 millions de comptes considérés comme inactifs, et du fait que chaque investisseur ouvre deux comptes, l'un Shanghaï et l'autre Shenzhen.
RÉPERCUSSIONS POLITIQUES
L'annonce par Pékin de mesures fiscales pour rendre la spéculation boursière plus onéreuse est à l'origine du mini-krach. "Il y a d'abord eu une rumeur comme quoi la taxe sur les transactions boursières allait augmenter. Et puis un jour, à minuit, on a appris qu'elle avait été triplée. C'est cela qui a provoqué la panique", dit M. Zhang, furieux d'avoir sous-estimé la réaction des marchés. Plusieurs centaines de milliers de petits porteurs pourraient avoir perdu de l'argent ces derniers jours, et c'est leur colère et ses répercussions politiques, plus que l'impact sur l'économie, qui inquiètent les observateurs.
La performance de la Bourse reste spectaculaire : l'index composite de Shanghaï a enregistré 130 % de hausse en 2006. Le triplement de la taxe sur les transactions boursières n'est pas le premier des signaux envoyés par les autorités pour refroidir l'exubérance des marchés chinois. Il procède "d'une approche par tâtonnements", selon Qing Wang, l'analyste pour la Chine de Morgan Stanley, qui classe les investisseurs chinois en trois catégories : les novices, les naïfs, et les super-spéculateurs, sur lesquels le gouvernement tente d'agir en faisant preuve respectivement de pédagogie, de persuasion et de fermeté. C'est l'ajustement perpétuel de ce cocktail qui décidera d'une évolution saine de la Bourse chinoise – avec en corollaire, le risque que les rangs des spéculateurs gonflent à mesure que les apprentis boursicoteurs s'enhardissent. L'exercice est périlleux, comme le montre le décrochage de 4 juin, jour où l'ensemble de la presse économique chinoise avait pourtant reçu la consigne de rassurer les investisseurs par de longs papiers en premières pages. Dans un article intitulé "Une Bourse prospère a besoin de rationalité ", le China Securities News martelait qu'"il n'y a pas de raison de douter de la tendance actuelle, celle de développer les marchés de capitaux". En outre, trois nouveaux fonds d'investissements gérés en joint venture par des sociétés étrangères, dont un par la Société générale, ont été approuvés.
Pourtant, l'engouement massif pour la Bourse parmi les épargnants, qui ont peu d'alternative pour leur bas de laine, est d'autant plus dangereux que le nombre de sociétés cotées reste faible, que seule une petite partie de leur capital est en Bourse et que les normes de gouvernance restent en Chine problématiques. Dans un article récent, le magazine d'investigation économique Caijing posait la question de manipulations sur les prix de certaines valeurs cotées à Shanghaï et sur la récurrence des délits d'initiés. Ce sont ces agissements qui avaient décrédibilisé la Bourse chinoise dans les années 1990 et, sapant la confiance des investisseurs, conduit au premier krach de 2001.
Brice Pedroletti
Source: LE MONDE | 05.06.07 | 10h09 • Mis à jour le 05.06.07 | 10h09
- Shenzhen: http://fr.wikipedia.org/wiki/Shenzhen
- Caijing: http://www.caijing.com.cn/English/index.shtml
mardi 5 juin 2007
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