En 2004, sa suprématie avait soudain paru menacée par de nouveaux concurrents venus d'Asie. Trois ans plus tard, Nokia fait plus que jamais la course en tête.
Jeudi 2 juillet, le fabricant de téléphones mobiles finlandais a annoncé avoir atteint une part de marché de 38 % au niveau mondial au deuxième trimestre, la plus forte jamais enregistrée depuis qu'il est passé numéro un du secteur, en 1998. Il a vendu 108 millions de téléphones en trois mois, soit plus d'un million par jour ! Les investisseurs en Bourse ont d'autant mieux réagi (l'action a bondi de plus de 8 % à Helsinki) que le groupe n'a pas sacrifié ses prix pour y parvenir. Au contraire, le prix moyen de ses téléphones a gagné 1 euro (à 90 euros). Du coup, le bénéfice net du groupe s'est envolé : + 148 %, à 2,8 milliards d'euros au deuxième trimestre par rapport à la même période en 2006 (pour un chiffre d'affaires de 12,6 milliards d'euros).
La concurrence vient très loin derrière. Deuxième du classement, le coréen Samsung n'affiche que 14,4 % de part de marché au deuxième trimestre, selon l'institut Idate, devant l'américain Motorola, relégué à la troisième place (13,7 %), le nippo-suédois Sony Ericsson (9,6 %) et le coréen LG (7,3 %).
Le "miracle" finlandais est généralement attribué à Jorma Ollila, l'emblématique patron du groupe (remplacé en 2006 par un de ses collaborateurs, Olli-Pekka Kallasvuo). En 1992, parvenu à la tête d'un conglomérat en déroute (fabriquant de téléviseurs, de pneus et même de pâte à papier), il parie sur le téléphone mobile - un marché encore balbutiant - et le standard numérique GSM. Cette norme se généralise en Europe et les ventes de Nokia décollent.
En 2004, le groupe finlandais, déjà numéro un du secteur depuis six ans, rate le virage "fashion" du terminal, et passe sous la barre des 30 % de parts de marché. Ses portables, réputés robustes mais au look classique, plaisent moins que les téléphones à clapets ou à glissières de Samsung. En France, le coréen lui ravit la première place en 2005 et en 2006. " Nokia, sûr de son approche globale du marché, est moins enclin que d'autres à s'adapter aux demandes des opérateurs (principaux distributeurs de ses produits), quitte à être moins présents dans les coffrets constructeurs", explique Etienne Costes, du cabinet Greenwich Consulting.
POSITION SCHIZOPHRÉNIQUE
Au niveau mondial, Nokia regagne le terrain perdu dès début 2005, en baissant les prix de ses téléphones moyen de gamme et en soignant davantage son design. Aujourd'hui, le groupe détient un portefeuille de produits quasi idéal.
Dans les pays occidentaux, où le marché est presque saturé et où il s'agit de renouveler sans cesse le désir des consommateurs, son modèle N 95 (entre 550 et 650 euros) est actuellement l'un des "smart phone" (terminaux couplant téléphonie, photo et accès à Internet) les plus recherchés. C'est aussi lui qui fabrique le Vertu, le téléphone le plus cher du monde (plusieurs milliers d'euros au bas mot, bien plus pour la version "Pink diamonds" pavée de 923 brillants). Surtout, Nokia est l'équipementier qui profite le mieux de l'énorme demande en provenance des pays en développement. Selon les analystes, le groupe détient 50 % de part de marché en Chine (deux tiers en Inde), malgré une concurrence locale foisonnante.
Comment parvient-il à tenir cette position schizophrénique d'être à la fois fort sur le haut et le bas de gamme, de fabriquer des portables pas chers - donc à faible marge - tout en dégageant suffisamment de ressources pour faire la course à la technologie ? " Aujourd'hui, il faut pouvoir sortir un portable en dix-huit mois qui ne restera que huit mois sur le marché. Les investissements en R & D sont énormes", selon Pierre Perron, patron de Sony Ericsson France.
Nokia s'en sort grâce aux économies d'échelle générées par ses volumes de vente. L'équipementier dispose d'un tel pouvoir de négociation qu'il peut acheter ses composants moins cher que ses concurrents. Il maîtrise aussi l'essentiel de sa production : il dispose de 14 usines dans le monde (encore une en Finlande), qui fabriquent "plus de 90 % de ses téléphones", selon Gontran Filet, de l'institut Idate. "Nous n'avons pratiquement pas de stocks, grâce à une production en flux tendu", assure Jacques Sylvander, directeur général de Nokia France.
A court terme, la position archidominante du finlandais paraît solide. Motorola, son principal rival, traverse une passe difficile : il a perdu de l'argent au deuxième trimestre (20 millions d'euros). Les analystes lui reprochent de ne pas avoir réussi à réitérer le succès du Razr, un téléphone ultrafin lancé en 2004. Venus du haut de gamme, Samsung, LG et Sony Ericsson s'essayent tous aujourd'hui dans le bas de gamme, mais M. Filet, de l'Idate, ne voit pas " Samsung sacrifier ses marges au point de dépasser Nokia en part de marché". Selon lui, "les plus menaçants sont les taïwanais HTC, Asus Tech, ou Arima qui fabriquent déjà des téléphones pour les grands du secteur : ils possèdent les capacités de production, la recherche et développement et le design". L'iPhone, le téléphone d'Apple sorti aux Etats-Unis le 29 juin, pourrait aussi marquer des points face à Nokia, mais uniquement sur le haut de gamme, vu son prix (environ 500 dollars).
La conjoncture économique mondiale pourrait être pour le finlandais la principale menace. C'est l'avis d'Alexandre Peterc, analyste chez BNP Paribas : " Nokia est très exposé en cas de ralentissement de la croissance des pays en développement."
Cécile Ducourtieux
Source: http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3234,36-941581@51-941701,0.html
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