Pourquoi je refuse la "lustration", par Bronislaw Geremek
L'Europe centrale n'arrive toujours pas à régler ses comptes avec son passé communiste. Cela concerne non seulement le plan de l'analyse et de la réflexion, mais aussi le plan politique.
Pour définir l'action nouvelle des autorités publiques visant à mettre au clair la collaboration des individus avec la police politique du régime communiste et à interdire aux personnes compromises de participer à la vie publique, les Tchèques ont introduit le terme de "lustration". Tous les autres pays de la région ont repris ce terme, mais en lui donnant des contenus différents.
La Pologne, depuis le tournant de 1989, a entrepris à plusieurs reprises de régler le problème sans suivre l'exemple de l'Allemagne, qui a ouvert largement l'accès aux archives des services de sécurité. Ainsi donc, depuis plusieurs années, on était tenu de déclarer, lors de toutes les élections en Pologne, si l'on avait collaboré avec les services de sécurité et de procéder de la même façon si l'on acceptait un poste dans l'administration de l'Etat.
En conséquence, j'ai eu à signer, plusieurs fois, une déclaration selon laquelle je n'avais pas collaboré avec les services secrets. Je l'ai fait aussi en 2004, en me présentant aux élections européennes. Mais, en mars 2007, on m'a demandé une nouvelle fois de signer une telle déclaration, sous peine d'être privé de mon mandat d'eurodéputé en vertu de la nouvelle loi sur la lustration. Il est vrai que c'est une exigence humiliante et sans fondement, mais ce n'est pas la raison de ma décision de refuser de me plier à cette demande. Je cherche à exprimer, par ce refus, mon attitude à l'égard de la nouvelle loi. Je la trouve inacceptable dans l'Europe démocratique.
Cette loi veut soumettre aux procédures de lustration entre 400 000 et 700 000 individus. Un institut spécial, portant le nom d'Institut de la mémoire nationale, est devenu le dépositaire des archives de la police et a obtenu le droit de porter des jugements sans que la justice puisse s'en charger. Les journalistes, ainsi que les enseignants, y sont aussi soumis.
Je crois que la loi de lustration dans sa forme actuelle viole les règles morales et menace la liberté d'expression, l'indépendance des médias et l'autonomie des universités. Elle engendre une forme de "ministère de la vérité" et de "police de la mémoire". Elle désarme le citoyen face aux campagnes de calomnies, en affaiblissant la protection légale de ses droits.
En refusant de signer la déclaration, je veux exprimer ma condamnation de cette loi. Ce n'est pas une action politique. Je voudrais que mon refus puisse faire réfléchir les autorités, afin que celles-ci donnent satisfaction aux inquiétudes morales des citoyens. Une telle loi exprime une façon de gouverner dans laquelle le pouvoir est fondé sur l'exploitation et la création de conflits. Elle suscite un sentiment d'inquiétude et de dépendance complète du citoyen à l'égard du pouvoir.
La Pologne est un pays libre et démocratique, bien ancré dans l'Union européenne. Je voudrais que la société se mobilise pour faire disparaître les mauvaises lois et mettre fin à ces méthodes de gouvernement. Je ne plaide pas pour ma cause personnelle. Je plaide pour la Pologne démocratique et européenne.
Bronislaw Geremek est eurodéputé et historien polonais.
Source: lemonde.fr, le 26 Avril 2007
dimanche 29 avril 2007
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