La Pologne serait elle en train de sombrer... dans son histoire ?
Bronislaw Geremek défie la politique de décommunisation des frères Kaczynski
L'eurodéputé et historien polonais Bronislaw Geremek, ancien dissident, véritable symbole de la lutte contre le totalitarisme en Pologne, a lancé un défi au régime polonais des frères Kaczynski en refusant de signer la déclaration exigée de tout Polonais ayant des responsabilités publiques pour leur demander de certifier qu'ils n'ont pas collaboré avec la police politique sous le communisme. Le délai pour signer était d'un mois après réception du formulaire. Dans le cas des eurodéputés, il expirait le 19 avril.
M. Geremek, élu du groupe libéral-démocrate, est le seul des 51 eurodéputés polonais de plus de 35 ans concernés par la loi à avoir refusé de signer. Il a reçu un fax de la commission électorale nationale (PKW), lundi 23 avril, lui faisant valoir les conséquences de son refus, c'est-à-dire la perte de son mandat. Avant de prendre une décision, la commission doit cependant contacter la présidence du Parlement polonais, indique-t-on à Varsovie. Cette dernière a affirmé mercredi n'avoir encore reçu aucun document.
La nouvelle de la menace pesant sur M. Geremek a été accueillie avec stupeur au Parlement européen. "Ils sont devenus fous, ces Polonais !", s'est exclamé Daniel Cohn-Bendit, coprésident du groupe des Verts. François Bayrou, le président de l'UDF, dont les eurodéputés siègent dans le même groupe que M. Geremek, a profité de la conférence de presse qu'il tenait mercredi 25 avril à Paris sur le second tour de la présidentielle française pour prendre la défense de celui-ci. Saluant son "geste de résistance morale", il a dénoncé "la forfaiture" des autorités polonaises.
Ancien ministre des affaires étrangères, M. Geremek avait confirmé lui-même sa décision et le fax de la commission électorale devant la presse polonaise, mercredi matin à Strasbourg, en marge de la session du Parlement européen. "Lundi 23 avril, cette commission m'a envoyé un fax pour m'avertir du fait que je suis démis de mon mandat de député à compter du 19 avril, pour ne pas avoir rempli ma déclaration de lustration", a expliqué l'eurodéputé. La loi de lustration, entrée en vigueur en mars, menace de licenciement immédiat les hauts fonctionnaires, parlementaires, magistrats, journalistes ou universitaires qui refuseraient de remplir cette déclaration.
"C'est en toute connaissance de cause que j'ai refusé de remplir cette déclaration", a affirmé l'ancien dissident. "J'en ai déjà rempli une en 2004, lorsque j'ai fait campagne pour les élections européennes, et j'ai alors eu le sentiment de vivre au pays d'Ubu roi. Pendant trois ans, aucun élément nouveau pouvant remettre en cause ma situation n'est apparu. Exiger que je remplisse une nouvelle déclaration sous peine de perdre mon mandat me paraît contraire aux principes de l'Etat de droit et méprisant pour les électeurs qui m'ont fait confiance", a-t-il déclaré. M. Geremek a ajouté que cette loi "engendre une forme de ministère de la vérité et de police de la mémoire". Pour son ami Jan Kulakowski, 76 ans, eurodéputé du même parti et longtemps représentant de Solidarnosc à Bruxelles, qui a lui-même signé la déclaration, cette loi "rappelle les méthodes staliniennes".
En plénière, Graham Watson, président du groupe libéral-démocrate, a expliqué, sous un tonnerre d'applaudissements, que "Bronislaw Geremek a refusé de signer sa déclaration pour protester contre la chasse aux sorcières organisée par le gouvernement polonais". Martin Schulz, le président du groupe socialiste, a aussitôt déclaré attendre du président du Parlement européen, le chrétien démocrate allemand Hans-Gert Pöttering, "qu'il dise au gouvernement Kaczynski que nous n'acceptons pas qu'il poursuive des personnes ayant combattu pour l'évolution démocratique de ce pays".
Dans un chahut provoqué par les députés des partis de la coalition au pouvoir à Varsovie, les conservateurs de Droit et justice et l'extrême droite de la Ligue des familles, M. Cohn-Bendit a affirmé : "Nous avons combattu le stalinisme avec Geremek, et nous devons protéger notre collègue sans hésitation d'un gouvernement qui se comporte de manière stalinienne et fasciste." Francis Wurtz, président du groupe communiste, a proclamé son "respect pour le courage politique" dont a fait preuve M. Geremek.
Le président de la commission juridique, Giuseppe Gargani (Forza Italia), a affirmé qu'il "examinerait l'avis de déchéance du mandat de M. Geremek et qu'il défendrait alors l'autonomie du Parlement". Dans l'après-midi, M. Pöttering a diffusé un communiqué dans lequel il déclare que "le Parlement n'a pas encore reçu d'information sur le mandat de M. Geremek". Il a assuré que lorsque le Parlement sera saisi il "examinera toutes les possibilités légales pour que M. Geremek continue son travail".
Dans un communiqué, le groupe socialiste a réclamé une procédure de suspension des droits de vote de la Pologne au Conseil de l'Union. Il a reproché au gouvernement polonais, outre l'affaire Geremek, de vouloir interdire d'enseignement "les professeurs homosexuels" et d'avoir "menacé de supprimer les pensions de ceux qui ont combattu Franco dans les Brigades internationales".
Rafaële Rivais et Célia Chauffour, à Varsovie
Source: lemonde.fr, le 27 Avril 2007
dimanche 29 avril 2007
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