lundi 5 novembre 2007

Bataille sur le front de l'art soviétique

Sur fond de polémique après la censure de 19 pièces destinées à l'exposition de la Maison Rouge, près de 200 oeuvres retracent l'histoire du « Sots Arts », le premier mouvement artistique antisoviétique dans les années 1970.

APRÈS le vif débat provoqué par la censure des autorités russes de 19 pièces interdites de sortie pour l'exposition de la Maison Rouge, « Sots Art, art politique en Russie de 1972 à nos jours », la polémique continue de plus belle à Moscou, où le gouvernement cherche, non sans duplicité, à apaiser les esprits sans toutefois renier ses positions. Mercredi dernier, le ministre de la Culture, Alexandre Sokolov, qui avait déjà déclaré publiquement que ces oeuvres étaient « de la pornographie et une honte pour la Russie », s'est félicité d'avoir mis un terme au conflit en interdisant leurs venues, notamment celles « ordurières des portraits d'hommes politiques dans des poses obscènes » des Blue Noses (les « Nez bleus »), duo de choc parmi l'un des plus populaires de la nouvelle Russie qui ose s'attaquer aux trois tabous que sont le sexe, la religion et bien sûr Poutine.

Maniant humour, dérision et provocation, Viatcheslav Mizine et Alexandre Chabourov étaient pourtant parmi les stars de la dernière Fiac, à la cour Carrée du Louvre, avec leurs séries Maski Show, photomontages moquant les grands de ce monde, sur le stand de la galerie Guelman de Winzavod, le nouveau quartier art de Moscou. Fiers de leur image interdite montrant le président ukrainien Viktor Ioutchenko nu à côté de l'égérie de la « révolution orange » Ioulia Timochenko, mais aussi avec des oeuvres rajoutées à la dernière minute, notamment des vidéos à faire sourire, y compris, les plus récalcitrants.

Même si le ministre russe de la Culture a rassuré l'opinion sur le fait qu'il « n'est pas en son pouvoir d'interdire quelconque exposition » et que « cette décision vise à protéger la réputation et la caution d'un musée d'État ». Quelle décision va-t-il prendre vis-à-vis d'Andreï Erofeev, le conservateur de la galerie Tretiakov à Moscou (l'équivalent local de notre Centre Pompidou), organisateur de cette exposition pourtant déjà montrée en mars pendant la IIe Biennale d'art contemporain de Moscou ? L'oeuvre corrosive de la jeune Vikente Niline - montage vidéo des voeux annuels du président auquel ont été ajoutés des rires de sitcom - avait été dès le départ exclue de la liste par la censure comme le mentionnait une journaliste du City Magazine Afisha, aussitôt licenciée.

Un foyer de résistance

« Si la Russie voulait censurer cette exposition officielle faite soi-disant dans le dos de l'administration, il fallait le faire dès le départ », estime Antoine de Galbert, fondateur de la Maison Rouge à la Bastille et collectionneur réputé du marché, qui a bénéficié pour cette exposition du soutien de la Société d'encouragement des beaux-arts, fondation privée progouvernementale composée notamment d'actionnaires de Gazprom. « Nous ne sommes pas dans la configuration des années de plomb où les artistes underground étaient vraiment victimes d'une persécution systématique et codifiée. Ceux-ci sont libres d'exposer de par le monde dans les foires et les galeries. Ceci donne une image plutôt favorable d'un pays en train de s'ouvrir », ajoute Antoine de Galbert qui tente de calmer le jeu.

Mais l'autoritarisme politique qui frappe la Russie à l'approche des élections touche par ricochet la scène artistique. Celle-ci a toujours été un extraordinaire foyer de résistance comme le montre avec force, violence et parfois désespoir, cette énorme exposition très bien articulée sur 2 000 m² pour retracer l'histoire de « Sots Art » ; mouvement dénommé ainsi par analogie avec le pop art, à partir des mots art et socialisme, en s'appropriant les slogans de la propagande pour les rendre ridicules, voire grotesques. Celui-ci est né au début des années 1970, après le règne du réalisme socialiste, sous l'impulsion de Vitaly Komar et Alexandre Melamid, et s'est développé en franchissant les frontières de l'URSS avec des personnalités fortes comme Vagrigh Bakhchanyan, Ilya Kabakovv ou Dimitri Prigov. Staline, Lenine, Brejnev et Poutine sont les vedettes de leurs oeuvres dans des situations cocasses avec des stars du show-biz ou des noms célèbres de l'histoire. Toute l'âme de la Russie est là dans ce parcours fort, drôle, décapant et surtout riche en émotions.

La Maison Rouge, 10 bd de la bastille, 75012 Paris, jusqu'au 20 janvier, www.lamaisonrouge.org

Par BÉATRICE DE ROCHEBOUËT.
Publié le 30 octobre 2007

Source: lemonde.fr, Bataille sur le front de l'art soviétique

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