Condamné à Londres, exposé à New York : la mésaventure d'un collectif anglais pose une nouvelle fois la question de la place des graffeurs dans la culture contemporaine.
Notre société est manifestement un peu perplexe face au phénomène du graffiti et plus largement, du "street art". Mais la confusion s'étend maintenant au-delà des seuls graffiteurs – et nettoyeurs de leurs œuvres. La semaine dernière, la loi anglaise a été appliquée par le tribunal de Southwark : cinq membres du collectif de graffiteurs DPM ont été condamnés à une peine de prison après avoir reconnu s'être associés pour commettre des dommages qui ont coûté au contribuable plus de 1 million de livres [1,263 million d'euros]. A deux pas de là, la façade côté fleuve de la Tate Modern était couverte de gigantesques fresques exécutées par six artistes urbains de réputation mondiale, dont Blu, de Bologne, Faile, de New York, et Sixeart, de Barcelone, pour la première exposition de street art dans un grand musée.
"La simultanéité de ces deux événements est profondément ironique", reconnaît l'un des artistes. C'est à Banksy que l'on doit l'entrée du street art dans les espaces muséographiques reconnus. Il y a quelques années, il faisait entrer son travail en douce dans des musées comme le Louvre ou la Tate Britain. Aujourd'hui, son livre est en vente à la boutique de la Tate Modern. C'est lui, plus que tout autre, qui a donné sa légitimité au genre, faisant de nombreux émules parmi la nouvelle génération.
Bob exécute des graffitis depuis sa période punk, en 1982. A présent, il travaille de jour dans une galerie d'art londonienne. "En ce début du XXIe siècle, Londres est au street art ce que Paris était à l'impressionnisme au début du XXe", déclare-t-il avec un manque de modestie assumé. "Pourtant, nous avons une haine du graffiti sans égal dans le monde. L'Angleterre est, et de très loin, le pays le plus sévère dans ses sanctions contre ce qui ne sont, après tout, que des délits économiques."
Le 19 juillet, une galerie new-yorkaise inaugure une exposition fondée sur le travail des condamnés de Southwark. "DPM – Exhibit A", à l'Anonymous Gallery Project, à Soho, montrera au public de grandes photographies de leurs œuvres, avec, à côté, des copies de leurs dossiers d'inculpation. Avec la volonté de poser une question : ces hommes sont-ils des délinquants ou des artistes ?
Le street art, voyez-vous, est un phénomène qui divise. D'un côté, il y a ceux, comme l'artiste américaine Elura Emerald – qui participe également à l'exposition qui va s'ouvrir à New York –, qui estiment que "les artistes qui peignent dans la rue ne font que s'exprimer, et ne font de mal à personne", et qu'ils devaient être "appréciés à leur juste valeur et célébrés". L'autre camp partage le point de vue du juge Christopher Hardy qui, devant le tribunal de Southwark, a décrit les activités du collectif DPM comme "une vaste campagne complaisante de vandalisme à grande échelle".
Comment résoudre pareille divergence ? "En ne les envoyant pas en prison", assène Bob. De toute façon, qui va juger de "ce qui est artistique et de ce qui est laid ? J'imagine que plus le nettoyage d'un graffiti coûte cher, plus dure doit être la sanction, sans toutefois aller jusqu'à la prison", tempère-t-il de façon assez surprenante. On n'est pas si loin de la décision du juge Hardy sur cette campagne de deux ans pendant laquelle le collectif DPM a joué de la bombe et mené plus de 120 offensives nocturnes contre gares, trains et matériel roulant à Londres, Liverpool, Manchester, Sunderland, Paris, Amsterdam, dans le Somerset et en République tchèque.
"Certains de vos travaux manuels témoignent d'un immense talent artistique", a reconnu le juge Hardy. "Le problème, a-t-il toutefois conclu, est que vous avez tagué des biens appartenant à des personnes sans leur autorisation, et cela s'appelle tout simplement du vandalisme." La municipalité de Peterborough, elle, a cherché un compromis en faisant installer des panneaux de 2,50 m par 1,20 m où les artistes peuvent s'exprimer librement. Hélas, des vandales les ont abattus...
Arifa Akbar et Paul Vallely
The Independent
courrierinternational.com
vendredi 18 juillet 2008
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