jeudi 5 juin 2008

Yves Saint Laurent, définitivement génial





Il était déjà un mythe de son vivant. Le couturier, qui vient de s'éteindre à l'âge de 71 ans, a incarné tout à la fois la rébellion et la tradition, la liberté et la rigueur, la créativité et la pérennité d'un style qui a sublimé le quotidien de millions de femmes dans le monde entier. Ses obsèques auront lieu jeudi en l'église Saint-Roch à Paris.

Nicolas Sarkozy n'a pas voulu le laisser partir sans lui rendre honneur une dernière fois. Il y a quelques semaines, il remettait les insignes de grand officier de la Légion d'honneur à Yves Saint ­Laurent. L'homme était fatigué, la cérémonie a eu lieu chez lui, en compagnie des fidèles, Catherine Deneuve, Charlotte Aillaud, la sœur de Juliette Gréco, et Pierre Bergé, l'ami de la première heure. Hommage d'exception à un parcours qui l'est tout autant. Une légende qu'il a commencé à construire avant même d'en avoir fini avec l'adolescence.

Quand, en 1954, Yves Saint Laurent frappe à la porte de Michel de Brunhoff, l'homme tout-puissant du magazine Vogue, il traîne encore des airs d'étudiant sage avec ses lunettes en écaille, ses cheveux bien peignés. «Il nous a montré ses croquis de mode. On pouvait s'attendre à ce qu'il soit doué, mais pas branché, il arrivait d'Oran, confiait au Figaro Edmonde Charle-Roux, qui travaillait à Vogue à l'époque, lors de l'hommage rendu aux 40 ans de mode du couturier. Ce que nous avons vu dans ses cartons ? Pratiquement ce que Dior allait faire défiler quelques jours plus tard .» Bluffé par son talent, Michel de Brunhoff, qui fréquente le Tout-Paris, présente le jeune homme à Christian Dior puis le renvoie à ses études. Yves Saint Laurent n'a que 18 ans, mais il sait déjà : sa vie sera dédiée à la mode.

Effectivement, un an plus tard, Christian Dior l'engage comme assistant. À la mort du maître, en 1957, le dauphin prend les rênes de la maison de l'avenue Montaigne. Il a 21 ans. En un défilé, il balaie le new look, impose la rigueur moderne de la ligne trapèze. Ovation des clientes. Un grand couturier vient de naître. Saint Laurent signera six collections pour Dior. Le nouveau petit prince de la mode ne perd pas de temps pour imposer son style : il montre d'emblée un esprit rebelle avec un défilé noir du début à la fin. Mais la menace du service militaire se précise et celle de cette guerre d'Algérie qu'il ne veut pas faire. «Son incorporation déclenche une dépression soignée dans des conditions difficiles au Val-de-Grâce, témoigne Edmonde Charles-Roux. Yves deviendra un homme dont l'état nerveux, psychique, pose problème. Un solitaire, mais sa solitude est la marque d'un grand. » Pour Yves Saint Laurent, c'est la descente aux enfers.


Des chefs-d'œuvre de haute couture inspirés de la peinture



Le salut vient de Pierre Bergé. Rencontré lors d'un dîner chez une amie commune, il représente tout pour le jeune couturier : il est son compagnon mais également son mentor, l'homme de la stratégie. C'est lui qui le sortira du Val-de-Grâce et trouvera les fonds nécessaires à la création de sa maison de couture. Ils partagent tout. Des années plus tard, alors que Saint Laurent loue la manière dont Bergé gère les affaires, en artiste, le financier commente : «Évidemment, je ne vends pas des petits pois !» Deux personnalités contrastées, soudées pour le meilleur. Ensemble, ils feront bien plus qu'une maison de couture. Ils se construiront des refuges en Normandie, à Marrakech, modèles du genre qui témoignent de leur sens aigu de l'esthétisme. Ce sont des amateurs érudits de tous les arts majeurs, musique, danse et, bien sûr, peinture qu'ils collectionnent et qui inspirera des robes hors du temps, belles comme des tableaux, à Yves Saint Laurent. Des chefs-d'œuvre de haute couture, d'après Van Gogh, Picasso, Braque, Warhol, Mondrian. Ces artistes, qui lui ont révélé l'éblouissement des couleurs («je ne croyais qu'au noir») , feront de lui un coloriste hors pair, osant des palettes vives et des juxtapositions subtiles et inédites. Sa signature.

Plus tard, Bergé et Saint Laurent auront à cœur d'accomplir une œuvre de mécènes, finançant par exemple l'aile française de la National Gallery, à Londres, dont deux salles portent aujourd'hui le nom de chacun d'eux. Si pour Saint Laurent la mode relève de l'art, elle est aussi un spectacle. On se souviendra toujours de sa collection Ballets Russes.


Un vestiaire masculin pour accompagner l'indépendance des femmes



Il dessinera également les costumes de pièces de théâtre, d'opéras, de ballets et même de revues. Les centaines de tenues de scène pour Zizi Jeanmaire au Casino de Paris, dont le fameux pull à plumes, c'est lui. Sans parler du cinéma et de Catherine Deneuve qu'il habille dans de nombreux films, à commencer par Belle de jour. De cette collaboration naîtra une complicité indéfectible entre les deux icônes françaises.

«Chanel a libéré les femmes, Saint ­Laurent leur a donné le pouvoir», assure Pierre Bergé. C'est vrai. Dès ses premiers coups de ciseaux, le couturier établit les codes nouveaux de la femme moderne. Bien avant les années 1980 et l'ère de la working girl , il conçoit les modèles qui vont accompagner son indépendance. Des vêtements simples, à l'élégance évidente : le caban, le tailleur-pantalon, la saharienne, le smoking… Panoplie masculine traduite au plus que féminin pour une génération qui, comme les hommes, allait se mettre à travailler. «Le seul vêtement qu'il a regretté de ne pas avoir inventé, c'est le jean. Un vêtement unisexe qui abolit les classes sociales », confie Bergé dans une interview à Janie Samet pour Le Figaro. Rien d'étonnant pour celui qui aura été le premier à faire descendre le chic couture dans la rue avec la création de son prêt-à-porter Yves Saint ­Laurent Rive gauche, en 1966. Le prin­cipe, simple, est pourtant novateur : le couturier ­dessine les modèles qui sont ensuite fabriqués industriellement et diffusés dans des boutiques.

En 2002, Yves Saint Laurent tire sa révérence. Et tourne le dos à quarante ans de mode, ponctués de provocations qui ont fait avancer les esprits. Dans les années 1970, il lance Opium, un oriental épicé et charnel à contre-courant des fragrances fleuries de l'époque. Un parfum qui sent bon l'interdit. Quand il est mis en vente aux États-Unis, les communautés chinoises, révoltées, défilent dans les rues de New York. Pour Yves Saint Laurent, il s'agissait surtout d'accompagner l'émancipation des femmes, de leur proposer un voyage initiatique, une sophistication nouvelle. Déjà, quelques années plus tôt, le couturier avait choqué l'Amérique puritaine avec sa see-through blouse, qui dévoilait les seins sous un nuage de mousseline. Avec le parfum, il ira encore plus loin en posant nu pour la publicité de son nouveau masculin Pour Homme. Pour la prise de vue, il fait appel à Jean-Loup Sieff. Le photographe de mode appartient à la bande d'amis Loulou de la Falaise, Clara Saint, Charlotte et Émile Aillaud, les Lalanne, ­François et Betty Catroux qui composent la «famille» d'Yves Saint Laurent. «Da ns le travail, l'homme peut paraître introverti, tendu. Dans la vie privée, il rit, il a beaucoup d'humour. Il aime la provocation, ne manquait pas de rappeler le photographe avant sa mort. L'idée du nu, c'est Yves qui l'a eue .» «Je veux choquer et faire scandale», assènera-t-il à Sieff.

Lui, le couturier des «premières fois» le prêt-à-porter couture, la mode spectacle, etc. , des transgressions, a imposé une mode devenue l'exemple majuscule d'un vestiaire classique, urbain et élégant. Dépourvu de fioritures. C'est ce qu'on appelle avoir du style. Un style dont il nous prive définitivement. C'est le dernier scandale qu'il nous inflige.

À lire : «Yves Saint Laurent» de Laurence Benaïm, Grasset.

Source: lefigaro.fr - par Catherine Saint-Jean
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